La caravane des Tantes Par Jeanjean |
Le texte qui suit est inspiré de ce que je vis, vois, entends et ressens, des colères et des pensées que cela fait naitre, des livres et fanzines que je lis. Pour le reste, il ne s'agit que de doutes, de certitudes et de contradictions... J'aurais
pu grandir dans la "maisons des hommes" (1) mais je l'ai surtout subie,
comme ces sales mômes qu'on enferme dans la cave en leur mettant un bonnet
d'âne, et en leur faisant porter le fardeau des misères de la famille
et des autres. |
PATRIARKIKI PARADIS A PATRIARKAKAKALAND |
En
patriarkie, l'hétéronormalisation contribue à accentuer la séparation des
rôles et tâches, attribuées aux personnes selon leur sexe biologique, en
offrant aux petits garçons ce qui est normâlement pensé comme valorisant,
et en jetant les restes aux petites filles. En patriarkie, l'hétéronormalité piétine les femmes et enterre les gens bizarres, celles et ceux qui ne réduisent pas les amours, les êtres, en mécanique de reproduction. En patriarkie, l'hétéronormalité c'est l'ordre des non-choses, des abcès et des absences de vie. |
LA GROTTE DES HOMMES |
Dans
la grotte des hommes on n'est pas un homme "si on n'est pas un homme, on
est une fille, une mauviette, un éfféminé" (3). Peu importe, par conséquent,
la ou les sexualités que tu pratiques ou pas, peu importe que tu sois pédé,
bi ou hétéro. Il faut juste être un homme, comme papa, Serge Lama ou 3615-Gay
musclé. Peu importe que tu préfères les deux premières mi-temps sur le terrain de foot ou la troisième mi-temps sous les douches, dans les vestiaires. Le principal, c'est que les actes entre les hommes soient virils, ou considérés comme tels par l'assemblée. Peu importe qu'on se tape "fraternellement" dans le dos sous ces mêmes douches, qu'on se touche les couilles ou qu'on se plotte le cul. Ce qu'il ne faut surtout pas, c'est passer pour une gonzesse, une tapiotte, un enculé... Il faut faire comme si on n'aimait pas ça. Et au cas où on y prenne goût, il faut alors l'affirmer de façon viril, montrer qu'on est quand même un Mec comme les autres Mecs. Un pédé avec des couilles. Aujourd'hui encore, malgré la démocrétinisation des mœurs, il est toujours plus valorisant de porter des chaussures à crampons que des chaussures à talons aiguilles. Question de genre... Peu importe que des Mecs s'adonnent aux concours des bites-les-plus-longues, jeux érotico-sexués non-mixtes, où la valeur du vainqueur se mesure en centimètre, et où le déshonneur du vaincu en bennes de moqueries humiliantes (4). Peu importe que le copain-grande-bouche aille de temps-en-temps draguer un travesti sur les quais, pendant que la copine-alibie reste à la maison. Ce qu'il ne faut surtout pas c'est être assimilé aux critères définis comme féminins, ne pas être jugé par le groupe des hommes ou des copains comme gonzesse, ça serait une faiblesse. C'est moins ridicule d'être un branleur qu'une suceuse, un enculeur qu'un enculé. Donner l'apparence de ne pas en être, mais plutôt d'en avoir, c'est la formule du bel Hercule. Pourtant, les jeux érotiques et sexués homos font partiellement partie de l'éducation des garçons, pour le plaisir, comme forme de compétition et de hiérarchisation, ou afin d'établir des codes sociaux. Ces codes et les hiérarchies qu'ils imposent, développent la volonté de parêtre mieux que, ou de faire mieux que l'autre, plutôt que la volonté d'être mieux que soi-même, laquelle approche de soi et du monde est un perpétuel mouvement, questionnement, etc. Tanter d'être mieux, de faire mieux que soi-même, être à l'écoute de soi, de ses différences qui s'entrechoquent, de ses contradictions et complémentarités, afin de comprendre autrement notre environnement, l'autre, les autres, et les situations. Etre à l'écoute de l'autre en soi, c'est-à-dire de soi, pour ne point se mépriser, et ne point mépriser l'autre. Ou alors, nous resterons confrontéEs aux violences sexuelles contre les hommes, les hommelettes, les transgenres, et évidemment contre les femmes, menaces et actes de guerre contre le genre féminin. Le dit "actif" contre la dite "passive". |
LE GAYTTO |
Le
gaytto (ou "communauté gay", terme utilisé par les commerçantEs gays pour
définir leur clientèle-porte-monnaie) largement dominé par les hommes, contribue
partiellement a son intégration dans le monde patriarcal, marchand, etc.,
en se débarrassant des imageries de folle-dingues qui lui collaient à la
peau comme eczéma. Depuis longtemps, et aujourd'hui quasi systématiquement,
les gays se montrent multi-musclés, sportifs, mâles et/ou misogynes. Normaux
donc... La virilité des images publicitaires gays nous rappellent celles des statues, affiches et autres monuments glorieux du stalinisme, du nazisme, et du scoutisme (...sans les queues en érection, évidemment!), effigie de la gloire du travail, de la gloire de nations, des nationalismes. Ce ne sont évidemment pas que des images pour faire téléphoner et gagner des francs, ce sont également des images pour faire bander où l'extase de chez l'extase, le désir, le plaisir, la jouissance ne fonctionnent qu'avec la survalorisation du corps masculin, et où, par conséquent, les valeurs contraires sont de goûts mauvais. Images d'hommes droits, larges d'épaules et fiers. Apologie du mâle et du normâle, de sa jeunesse, de son corps, de sa force, de sa santé, que l'on retrouve un peu partout aujourd'hui, et dont la négation est la laideur, la maladie et le genre féminin auquel est associé la sensibilité (5), la maternité, la passivité, la faiblesse, la nervosité, l'hystérie... Et pendant ce temps-là, les lesbiennes sont derrières, là-bas, au fond, et les transgenres balaient l'arrière-cour. Cherchez, vous les trouverez bien quelque part. |
VIOLENCES HOMOPHOBES |
J'ai
été tabassé et violé un soir d'automne 1997 par trois jeunes Mecs, à St
Germain-des-Fossés, Allier. J'aurais pu avoir la carrure d'un rugbyman, avoir une démarche viril, être 100% pédé et ne pas avoir été confronté à ce type de violence homophobe. J'aurais pu être petit, avoir les cheveux roses, porter des bijoux, être plutôt efféminé dans ma façon d'apparaître et de me déplacer, être 100% hétérosexuel et être tabassé ce soir-là. Les violences homophobes (coups, insultes, viols, meurtres...) dirigées contre les hommes s'attaquent à ceux auxquels il est attribué des particularités dites homosexuelles, mais qui dans la réalité ne le sont pas forcément: la façon de parler, de marcher, de se vêtir, les gestes par exemple. Elles ne s'adressent pas particulièrement aux personnes dont la sexualité est homo, puisque là où les sexualités des unes, des uns et des autres ne se détectent pas encore à l'oeil nu. Et encore moins dans la nuit... En patriarkie, les violences homophobes ciblent les hommes qui ne s'inscrivent pas dans les normes, dans les codes, masculins et patriarcaux, les personnes dont la virilité, la façon d'être et d'occuper les espaces, dont la façon de tchatcher, d'écouter ou de ne pas écouter sont autres. Différentes. Elles ciblent les hommes qui sont étrangers à l'image domestique des mâles. Elles ciblent le genre féminin.Les femmes, les mômes, les chienNEs et autres animaux. J'ai été tabassé et violé par trois Mecs qui, à ce moment-là, ont estimé que c'était le châtiment que je méritais, et dont la sentence était de me faire payer à coups de poing, à coups de tête, de pied et de queue, mon insoumission, mon a-normalisation. A la fois punition et rite qui contribuent à nos constructions masculines, la mienne tout autant que la leur. Il m'ont ainsi rappelé que la menace était permanente pour les non-Mecs, les tapettes, et par la même occasion, se sont prouvés qu'ils ne devaient pas être ce que je suis, qu'ils ne pouvaient pas en être. Ce n'était donc évidemment point des tantes. C'était peut-être des pédés... Le sauront-ils un jour ? Ce type d'action fait partie d'un brouillon de culture dans lequelle s'amalgament les insultes, les blagues, les rites de bizutage, etc... Actions physiques, psychologiques ou sexuelles de guerre, en temps de "paix" ou non. |
UNE CARAVANE DE TANTES POUR LES GENS ETRANGES ET BIZARRES |
C'est
sans doute parce qu'il m'arrive d'être encore sujet au mépris, qu'il m'est
toujours un peu amer d'entendre que la maison des tantes est une partie
de la maison des hommes, et qu'à ce titre, je bénéficie de certains des
privilèges que l'organisation patriarcale offre aux mecs. Cependant si
mon côté masculin (6) tire profit de l'oppression générale des femmes,
mon côté féminin en paye les frais. Du moins, c'est ce qu'il me semble
régulièrement vivre, c'est ce dont je suis fait. février 1998 |
1 L'histoire de la "maison des hommes" est bien expliquée dans "La peur de l'autre en soi, du sexisme à l'homophobie", écrit sous les directions de Daniel Welzer-Lang, Pierre Dutey et Michel Dorais, VLB éditeur, 1994. "La fabrication des mâles" de Nadine Lefaucheur et Georges Falconnet, éditions du Seuil, 1975, est très bien argumenté également. 2 Petit clin-d'oeil, là, à l'article titré "pédé!" et publié dans "Banderoles, écrits publics et privés, 1989-1996", d'Alias, aux éditions Geneviève Pastre, collection Courants ascendants, 1997. 3 "La fabrication des mâles", déjà cité, page 22. 4 L'article "J'ai une petite bite... et alors" publié en annexe démontre la façon dont ces histoires de centimètres peuvent valoriser où dévaloriser la perception que les garçons ont d'eux. 5 La sensiblerie pour d'autres... 6 A ce sujet, il faut se référer au livre "La fabrication des mâles", déjà cité, page 24 et 25, où les auteurEs se sont amuséEs à relever les termes que le dictionnaire Petit Robert associait aux hommes, puis aux femmes. Lire aussi "La peur de l'autre en soi, du sexisme à l'homophobie", déjà cité, entre autre les articles sur la construction des hommes, la "maison des hommes", le sexisme, etc... 7 L'absence de point de repère lorsqu'on grandit, l'absence d'images auxquelles nous pourrions nous identifier lorsqu'on est môme est souvent un problème pour beaucoup d'entre nous (pédé, lesbienne, bi, transgenre...). Pour les jeunes garçons homos, les seules références que nous ayons sont les insultes dévalorisantes: tarlouze, tapette, etc... à partir desquelles nous tantons de construire nos existences. Les femmes ont aussi leur propre lot de termes péjoratifs et insultes comme référence à partir desquelles elles doivent construire leurs identités. 8 Sociologie et sociétés, vol. XXIX, n°1, printemps 1997, page 15. |