Rencontre avec Laura

Par Rosita Negra

sommaire du dossier "violence sexuelle"

De la victimologie

 


      J'avais entendu parler de "victimologie" sans savoir de quoi il s'agit. A priori, la victimologie s'intéresse aux victimes. J'ai voulu en savoir plus quant à cette discipline et surtout si elle apporte quelquechose aux victimes de violence sexuelle. Je me demandais aussi si cette discipline est en contradiction avec les approches féministes sur ce sujet-là. J'ai donc rencontré Laura, assistante sociale stagiaire à ASPASIE (association genevoise de santé communautaire pour personnes prostituées) qui a suivi un cours de victimologie à l'université. Elle m'a donné un aperçu de cette discipline dont voici quelques extraits.

      "Dans les années 40/50, la criminologie a créé la victimologie. On cherchait à comprendre les criminels. Certains se sont dit: pour comprendre les criminels, il faut comprendre les victimes. C'est pourquoi la victimologie est tellement rattachée à la criminologie. Puis, ils se sont posé des questions sur les relations existant entre l'acte violent, la victime et le criminel. La victime devient celle qui aide à connaître et à lutter contre le crime. On part ainsi du fait que le crime s'organise autour de la victime. C'est elle qui provoque le crime. Pour connaître le crime, il faut connaître la victime. Un certain criminologue a dit: "On ne peut pas comprendre la psychologie de l'assassin si on ne comprend pas la sociologie de la victime. Ce qu'il nous faut, c'est une science de la victimologie."

[...] Il y a trois concepts liés à la personne victime:
- le criminel victime qui devient successivement criminel et victime.
- la victime latente qui attire sur elle l'attention, les masochistes affichés.
- le potentiel de victimité qui est relié à certains types de relations entre criminel et victime comme l'amour passionnel. Certains ont pu interpréter les relations entre prostituée et souteneur comme des attractions réciproques.

[...] En 1945, Benjamin Mendelson a fait une liste des degrés de culpabilité de la victime. En gros, il y a des victimes innocentes et d'autres plus ou moins coupables. Il en fait 4 catégories:
- victime innocente (de catastrophe naturelle par exemple). C'est d'ailleurs souvent pour ces victimes-là que les gens ont le plus de compassion.
- victime moins coupable que le criminel mais qui a une part de culpabilité.
- victime plus coupable que le criminel et qui a incité le criminel.
- victime entièrement coupable. [...] Des courants extrêmistes se sont aussi développés. Le victimologue Vertel a même écrit un livre intitulé "Ce n'est pas l'assassin, c'est la victime qui est coupable"!

[...] La victimologie s'intéresse aussi aux "signes d'appels victimatoires" c'est-à-dire aux signes qui permettent de reconnaître qu'une personne est une victime."

Je m'arrête là dans la retranscription, je pense que c'est déjà suffisant pour juger que la victimologie ne m'intéresse pas, surtout concernant les victimes de violence sexuelle.
La définition même de cette discipline ne me convient pas. Concevoir que "le crime s'organise autour de la victime " et que c'est elle qui "provoque le crime", c'est rendre la victime reponsable du crime, c'est faire de la victime le problème, c'est penser que s'il y a des viols c'est à cause des victimes et pas à cause des violeurs.
En ce qui concerne la violence sexuelle, "comprendre la sociologie de la victime pour comprendre la psychologie du violeur" est une logique que je trouve quelque peu dangereuse: comprendre la sociologie de la victime revient à chercher des points communs entre les victimes, à les stigmatiser. Cette logique ne permet donc pas, par exemple, de considérer que les auteurs de violence sexuelle sont essentiellement des hommes. Elle est par contre adéquate pour culpabiliser les victimes. D'autre part, je préfère m'intéresser à l'état psychologique de la victime qu'à celui de l'auteur. Je me fous bien de savoir que le violeur ait eu une enfance difficile et qu'il puisse bénéficier de "circonstances atténuantes".
Dans ses concepts liés à la personne victime, la victimologie parle de "vicime latente" (i.e les femmes en minijupe, les tantes qui portent du vernis-à-ongles?) alors que je parlerais plus volontiers de "violeur latent". Et quand la victimologie cherche à détecter un "potentiel de victimité", moi je vois un "potentiel de violence" chez certains hommes. Décidemment, la victimologie et moi, ça fait deux! A quoi ça sert la victimologie alors? Je ne sais pas. Peut-être à faire en sorte que le monde ne change pas, que les vrais mecs puissent continuer à tout moment de faire preuve de leur pouvoir sur les dominéEs, ça sert peut-être à justifier la violence. Non, vraiment je ne sais pas. En tout cas c'est réac.


Laura parle des victimes, nous en donne une définition et l'origine



      "Le mot "victime" vient du latin "vincere" qui veut dire "vaincre". J'en ai déduit que la victime est celle qui se fait vaincre. Mais d'autres éthymologues expliquent d'autres venues du mot. Historiquement, la victime est une créature vivante que l'on offre à une créature divine. C'est une offrande. Parce qu'on supposait que les divinités aimaient bien le sang et que ça avait un effet rédempteur. Ca achetait les futures fautes ou les fautes commises.

       Celles/ceux qu'on appelle VICTIMES: toute personne qui subit un dommage et dont l'existence de ce dommage est reconnu par autrui et dont elle n'est pas toujours consciente. I.e pour que tu sois vitime il faut que tu es subi un dommage. Mais l'enfant en 1850 qui se faisait taper sur les doigts à coup de fouet parce qu'il n'avait pas réussi à l'école, c'était pas une victime, c'était normal. Pour qu'il y ait une victime, il faut absolument qu'il y ait une reconnaissance. Et cette reconnaissance change en fonction de la société.

       La victime n'est pas toujours consciente. Un enfant peut subir un harcèlement moral sans s'en rendre compte. Mais le harcèlement moral en tant qu'acte est reconnu comme victimisant par les personnes.
Il y a plusieurs instances qui reconnaissent la victime: la société en général pour des cas assez banals (si tu t'es fait voler 500 francs dans le tram par exemple). Pour tout ce qui est dommage corporel, la reconnaissance de la victime se fait par les médecins, les psys. C'est une reconnaissance officielle médicale. Pour tout ce qui est dommage matériel, c'est une reconnaissance judiciaire.
Toutefois, la société évolue et celles/ceux que l'on considèrent comme victime ou pas changent aussi."


Les boucs emmissaires



      "Aux temps païens très anciens, repris au temps du christianisme, on envoyait deux boucs. Y'en a un qui a été chargé de tous les péchés et envoyé mourir dans le désert. Symboliquement c'est revenu dans le langage de tous les jours. C'est la personne qui est chargée de tous les défauts, qui est insupportable pour les gens, et qui sont reportés sur cette personne. Ils l'excluent, comme ça, ça permet de se déculpabiliser par rapport à ses propres défauts, ses propres "péchés", et d'exclure ce qu'on ne peut pas supporter en nous.
       Souvent ça fait des effets de masse: y'a une personne qui commence à faire d'une personne un bouc émissaire et tous les autres se rallient à lui pour recharger ce bouc émissaire d'encore autre chose. A un moment la tension monte, monte jusqu'à ce que ça atteigne son apogée. Le bouc émissaire sera totalement exclu ou se suicidera. Et c'est là que, une fois qu'il part, toute la tension retombe pour un moment. Et ce fait-là justifie encore plus le bouc émissaire parce que tous les autres se disent: "depuis qu'il n'est plus là, ça va mieux, donc c'était vraiment lui le coupable".
En des temps anciens, les victimes étaient des êtres vivants offerts à des dieux, pour racheter une faute, pour demander quelquechose, pour qu'il y ait de bonnes récoltes...
       Au niveau de la théologie chrétienne, Jésus est considéré comme "the victim", la suprême victime qui est venu racheter tous les péchés des hommes, c'est lui qui portait tout le poids, toute la souffrance."


Laura nous donne une explication des mécanismes de culpabilité chez une victime de violence sexuelle




   " La victime commence à avoir honte. La honte est quelquechose de douloureux. Mais cette honte lui sert de protection puisque tout a été brisé en elle. Elle n'a rien compris à ce qu'il lui est arrivé, elle en pleine confusion. La seule chose qu'elle connaît c'est la honte. Et c'est cette honte qui va lui permettre de se reconstruire une identité.
       Dans notre société, le viol paraît tellement horrible, tellement inacceptable. La victime est donc confrontée au déni. On risque même de douter de sa parole quitte à lui demander des preuves. Elle va donc se résigner. N'étant pas reconnue en tant que victime, elle va encore avoir plus honte. De cette honte naît un sentiment "salvateur" qui est, bizarrement, la culpabilité. C'est très relié au christianisme. Pour échapper à l'emprise de la honte, il faut être coupable. Parce que "coupable" signifie qu'on a fait une faute. Ca la fait souffrir de se sentir coupable mais cette souffrance lui permet de payer sa faute, son "péché". C'est la souffrance de la culpabilité qui fait la rédemption de la faute. Une fois sa faute payée, elle peut à nouveau s'insérer et revivre dans la société."
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