Les pédés dans la langue française

Par Madame Lexica
chômeuse de métier
polytoxicomane avérée
socio-linguiste à l'occasion

      Quand on fait son coming out, il est nécessaire à un moment ou à un autre de se définir et de s'identifier. Je parle ici bien sûr des "pédés" et non pas des hommes qui couchent avec des hommes ou autre bi-machin-chose. Pour se définir, on a donc besoin de choisir un mot, mais lequel? J'ai personnellement choisi le mot "pédé", c'est celui qui me dérange le moins pour plein de raisons. Je me suis donc plongé dans le dictionnaire "Le Nouveau Petit Robert" de 1993 pour y chercher les mots qui nous définissent, nous les pédés. J'ai pas été déçu puisque j'en ai trouvé 17!

      Sur ces 17 mots, seuls 4 s'utilisent pour désigner des hommes et des femmes: enculéE, homosexuel-le, invertiE et homo. Tous les autres mots ne désignent que des "hommes homosexuels".
J'ai donc tanté de les classer en fonction de leur signification.
Les mots qui se veulent être "neutres" et non connotés sont homosexuel-le, homo, et gay. Mais il suffit juste de se rappeller que "homosexuel-le" à été inventé par les psychiatres pour définir une pathologie, une déviance, une perversion pour ne pas se satisfaire de ce mot.
En ce qui concerne "gay", ça n'est finalement qu'une importation anglophone récente (1952) désignant la communauté marchande telle qu'elle existe aujourd'hui dans tous les pays riches de la planète, parfait clone du modèle américain. Ce mot a toutefois le mérite de ne désigner que l'"homosexualité masculine" sans être connoté "efféminé", "passif", ni "pervers". C'est le moins pire de la langue française.
       Dans la catégorie "homosexuel efféminé" il y a tante (1834), tapette (1854), tata (1881), tantouse (1900) ou tantouze, travesti (1923) et travelo(1970). Eh, oui! Les travestis et les travelos sont des "homosexuels habillés en femme" d'après Le Petit Robert. Etonnant, non?
       Puis y'a la catégorie "homosexuel passif", proche cousine de la première: enculé (mil. XIXe), lope (1887), lopette (1889) auxquels on pourrait ajouter sodomite, la sodomie étant quasi indissociable de l'homosexualité masculine d'après ce dictionnaire.
       La famille des "pervers" se décline en pédéraste (1584), dont le sens premier est pédophile, pédé (1836), pédale (1935) et bien sûr homosexuel (1891)et homo (1964).
       Et enfin, on trouve les inclassables inverti-e (1894) et homophile (1970) beaucoup moins dangereux pour la société puisqu'ils sont "éventuellement sans pratique sexuelle" et définis comme affinité sexuelle et non attirance sexuelle comme pour "homosexuel". En somme, les inverti-es et les homophiles sont des gens que l'on peut excuser et qui n'iront pas forcément au purgatoire puisqu'ils essaient de retenir et de ne pas vivre leurs instincts dégoûtants.

      La Totalité de ces mots (excepté Pédéraste) sont apparus aux XIXe et XXe siècles. Auparavant, la haine se concentrait sur les "sodomites" considérés depuis Saint-Thomas comme le pire des péchés de luxure. Les sodomites à l'époque désignaient bien-sûr les pédés. Il est assez amusant de lire un court extrait de La Pragmatique des Rois Catholiques de 1497*, condamnant les sodomites à la mort par le feu et qui n'ose même pas nommer "la Chose":
             "... car parmi les péchés et les délits qui offensent Dieu notre Seigneur et déshonorent la terre, il en est un de particulièrement grave, commis contre l'ordre naturel. Les lois et le Droit doivent s'armer pour le châtiment de cet abominable délit, indigne d'être mentionné, destructeur de l'ordre naturel, puni par le jugement divin. Il fait perdre la noblesse, mollit le coeur et engendre un manque de fermeté dans la Foi."

      Certes au XIXe et XXe, l'inquisition n'existe plus, mais le vocabulaire désignant les pédés s'est construit sur cette même imagerie, sur ces mêmes phobies, sur cette même haine des hommes sexuellement passifs et/ou efféminés, bref dans le même bouillon de culture misogyne. Point besoin de microscope ni de lunettes à infra-rouge pour voir transparaître la haine et le déni du féminin et des femmes dans ce petit listing homophobe (dans SALOPE il y a LOPE!). Petit exemple pour illustration:
                     TAPETTE 1854 de taper
                     FAM. et VULG. Homosexuel efféminé. => folle, tante
Et juste avant cette définition, on trouve une autre définition de TAPETTE, très intéressante, qui donne quelques caractérisiques de la tapette, de la tante :
                    "Langue bien pendue, loquacité. -Par ext. Quelle tapette cette concierge!".

                     Les tapettes, comme ça l'est souvent attribué aux femmes, parlent toujours pour ne rien dire. Qu'on s'le dise!

On pourrait aussi se rassurer en se disant que les mots ne sont que l'héritage culturel d'une époque révolue. Mais Le Petit Robert (ou la langue française?) laisse planer quelques ambiguïtés nous rappelant qu'on est quand même des pervers dangereux pour la société:
                     pédéraste 1584 gr. paideraltès=pédérastie
                     1- Homme qui a des relations sexuelles avec des jeunes garçons=>pédophilie.
                     2- Par ext. Homme qui a des relations sexuelles avec d'autres hommes=>homosexuel, pédé
Quant à cette peur de "l'homosexuel pervers", amalgame courant entre homosexualité et pédosexualité, on voit bien qu'elle est nourrie par les propres définitions de la langue française. Ambiguïté que l'on retrouve dans la définition de "pédale":
                     pédale 1935
                     Péj. et Fam. Pédéraste. -LOC. être de la pédale : être homosexuel (cf. être de la jaquette).
Cette définition me fait hoqueter: de quel pédéraste Le Petit Robert nous parle-t-il? S'agit-il de la première ou de la deuxième définition de pédéraste? On ne sait donc pas si l'insulte pédale signifie pédé ou pédo, ambiguïté quelque peu gênante... Mais l'ambiguïté est vite levée par la délicieuse locution "être de la pédale", synonyme de "être de la jaquette" qui signifie bien "être homosexuel"!
Une autre ambiguïté aussi sur la définition de
                     sodomite XIIe
                     Celui qui se livre à la sodomie, et SPECIALT homosexuel (actif ou passif). => aussi pédéraste.
Il semble que la langue française (ou Le Petit Robert?) a du mal à considérer que les hétéros se livrent aussi à la sodomie. Serait-ce un vestige de l'époque médiévale de l'Inquisition?

      Bref, il y a tellement de choses à commenter sur chacun de ces mots que j'en perds les pédales. Au début de ce texte, je parlais des garçons en quête d'identité qui font leur coming out. On a besoin de mots pour nommer cette identité. Ma première conclusion est qu'une identité de pédé se construit essentiellement sur des insultes. Il ne peut en être autrement à moins d'inventer un mot. La langue est finalement d'une importance capitale. Par exemple dans la langue allemande, il existe le mot "Schwuler" (a fortiori intraduisible) qui n'est pas l'équivalent de "gay", ni de "homosexuel" et qui peut être utilisé comme insulte ou comme définition identitaire non connotée. Ce sont les pédés eux-mêmes qui se sont approprié ce mot.
Il est difficile en France et en francophonie de s'affranchir de la culture dominante homophobe / misogyne, la langue ne permettant même pas d'utiliser des mots "neutres" non connotés. Par conséquent, il est aussi difficile d'élaborer une contre-culture de résistance au système hétéropatriarcal.
Personnellement, je préfère dire "je suis pédé" ou "je suis une Tante" avec fierté. Pourquoi? Parce que c'est ce que je suis et ce que j'ai choisi d'être!

* Extrait de "Le châtiment de la sodomie sous l'inquisition (XVI-XVII)" de Raphaël Carrasco.

Retour au sommaire BB2
Retour au menu