Beaucoup
de choses ont été dites lors de l'atelier "travestissement" de la Croisière
IV. Les témoignages étaient très divers, très riches.
Beaucoup
de questions s'entremêlent dans ma tête. Où commence le travestissement
? Est-ce que la jupe que je mets dans ma cour quand il fait chaud c'est
du travestissement ? Est-ce que le vernis à ongle rose barbie ou vert
paillette que je mets occasionnellement c'est du travestissement ? Est-ce
que le collier en vraies perles de très grande valeur que je porte nuits
et jours c'est du travestissement ? Ou un morceau de travesti ? Est-ce
que ma gestuelle, mon éfféminitude, c'est du travestissement ? Est-ce
que c'est une façon de me dissocier, de me séparer du masculin, ou/et
une imitation, une caricature de la féminitude ? Est-ce que, travesti,
je ne suis qu'un homme vêtu, maquillé et gestué comme une femme d'après
des clichetons masculins ? Est-ce que c'est une façon de visibiliser mon
éfféminin ?
Tourmente. Tempête. Et toujours ces vents qui s'entremêlent dans ma tête.
JE ME
SOUVIENS
Je
me souviens qu'à la maternelle j'avais une meilleure copine.
Je me souviens que l'instite, mademoiselle Proust, me disait d'aller jouer
dehors aux billes avec les garçons, dans le bac à sable, alors que je
préférais rester au chaud dans la classe, pour jouer à la dinette avec
les filles.
Je me souviens que le mercredi j'aimais bien que ma mère me mette du vernis
à ongles rouge pour faire comme elle et ses copines.
J'aimais bien me déguiser.
J'aimais bien jouer à l'élastique, à la marelle, à la poupée, à la marchande,
à "un-deux-trois-soleil" avec mes copines.
J'aimais pas le sport. C'était trop brutal.
J'aimais bien jouer au docteur et à touche-pipi avec les copains de mon
frère. A touche-pipi, c'était moi qui faisait "comme une fille".
J'ai toujours eu des meilleures copines. Rarement de meilleurs copains.
Je me souviens que les garçons m'appelaient minette et chochotte dans
les premières années de collège, à 10/12 ans, par moquerie, méchanceté
ou comme menace. Soit ils le faisaient en me caricaturant exagérément
avec une gestuelle dite féminine, soit en me donnant des claques ou en
me crachant dessus. Ils me pétrifiaient de trouille.
Je me souviens de songer parfois, depuis mes 17/18 ans jusqu'à mes maxidéprimes
de maintenant, à la transformation de mon corps.
Je me souviens qu'être punk me permettait de porter des kilts, de mettre
du noir aux lèvres, de l'eye-liner autour des yeux, de mettre des gants
résilles, des chevillères, du vernis à ongles fluo, des couleurs...
Je me souviens avoir fait un spectacle sur les homosexualités où je portais
des robes, des maquillages, des bijoux.
Mon travestissement peut être spectaculaire pour les autres. Pas pour
moi.
Je me suis travesti en d'autres occasions.
Je me travesti peu.
J'aime l'androgynie, son ambiguité.
J'aime ce qui est associé à l'image et la socialité dites du féminin.
Quand je suis dans la rue, je me dis qu'il faut que je marche comme un
mec si je veux pas me faire embrouiller la tête.
Je vis les regards dominants comme des sentences.
Je suis un garçon pour des femmes. Je suis une tapette pour les mecs.
J'ai jamais su, ou pu me définir par rapport aux genres préfabriqués féminin/masculin.
Peu importe puisque tant d'autres le font pour moi.
J'aime l'idée que je puisse être autre chose, un personnage qui se cherche
encore au fond de moi. Que là se tiennent ou s'envolent les petits grains
de sable fin qui font mon entièreté. Mouvement permanent.
J'aime les moments de transformations. Ce sont des voyages, des pieds-de-nez
à la monotonie et à l'amertume de la vie, des moments de jeu, de réappropriation
de moi, des temps de rêves, de magie et de force.
Je sais que je vis en patriarkie, où les espaces publics sont masculins,
où les dominations sont masculines, où les violences sont ultra-majoritairement
le fait d'hommes, que j'ai aussi grandi là-dedans, que je reproduis et
que je subis.
ET D'AILLEURS
Je
te jure que la follitude, la chochotterie, l'éfféminitude et le travestissement
sont aussi des constructions sociales genrées.
Je te jure, et c'est pourquoi je revendique le droit d'être sensible,
de vouloir écouter même si je ne peux pas tout entendre, de porter des
bijoux, des maquillages, des perruques, de parler de futilités, de ricaner,
d'être hystérique, de comploter, de pleurer quand j'y arrive, de m'épiler,
de danser, parce que je le vaux bien.
Que le machisme ne vaut rien.
Je te jure même s'il faut pas jurer.
LES
FOLLES ET MON COMING OUT
Je me souviens que lorsque j'ai su que j'étais pédé, j'avais cette idée
que je n'étais pas comme les autres. Les autres c'étaient les éfféminés,
les folles, les tarlouzes. Ceux qu'on pouvait repérer à l'apparence, à
leur façon de parler ou de bouger. Ceux qui étaient visibles. Ceux qui
s'enculaient dans nos blagues, ceux dont on parlait pour rire et pour
injurier, ceux qu'on pouvait insulter dans la rue, ceux dont on disait
qu'ils étaient pire que tout, ceux qui devraient avoir honte, etc…
Les autres c'était aussi les cuirs, les moustachus.
Les autres c'était aussi les zétéros, les beaufs, les gens de droite et
les épiciers de gauche, les mecs, et plus...
Moi,
j'étais anarchiste ou squatteur. J'étais punk, hippifolk ou rasta.
Nulle part à ma place. Nulle part dans ma place. Juste à coté.
L'homosexuâl de la bande. Le bouffon ou la mascotte. Gentil et souriant.
Ne pas être comme les folles permettait de me dissoudre dans l'hétéronormalité
générale. D'être accepté par les normaux.
C'est, du moins, ce que je devais ressentir ou croire à ce moment-là.
Ne
pas voir, ne pas entendre, ne pas parler, pour ne pas me mettre en situation
de danger, même si les personnes de mon entourage savaient que je pouvais
être amoureux de garçons, que je couchais avec, quelle horreur...
Eviter tous symptômes de conflit pour ne pas être en rupture avec ces
personnes. Pour ne pas se retrouver seul. Isolé. Encore plus en danger.
Vulnérable.
Ne pas faire de bruit autour de mon homosexualité, des homosexualités.
Même si je savais avouer mes goûts et mes couleurs. Même si j'étais touché
par les violences dont étaient victimes les lesbiennes, les gays, les
bis et les transgenres.
Le silence des placards.
Ne pas rencontrer d'autres comme moi. Ne pas être solidaire parce-que-les-hétéro-ne-se-revendiquent-pas-par-rapport-à-leur-sexualité-alors-pourquoi-je-le-ferais
?
Ne pas me reconnaitre. Ne pas vous reconnaitre. Ne pas s'organiser. Ne
pas nous rencontrer. Ne pas être ensemble.
Comme si l'homophoboue ne s'aglutinait jamais sous les semelles de nos
bottes (talons aiguilles).
Diantre
!
A nos
amours, à nos rages, à nos rires, à nos tristesses et nos fantaisies.
Je nous calin !
12 mai 2000
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