Si
le type homme ou femme est bien déterminé par le biologique, les genres
sont très variables d'un bout à l'autre de la planète voir d'un bout
à l'autre de la vie d'une même personne suivant les rapports sociaux-culturels
qui régissent les diverses communautés humaines. Et même si le modèle
patriarcal est ultra dominant, c'est donc qu'une évolution est possible
et qu'une autre construction est envisageable.
o Le patriarcat
c'est nous!
" Les rapports sociaux de sexe s'appuient autant sur l'illusion naturaliste
de supériorité masculine que sur la reproduction entre hommes de la
vision hiérarchique des rapports hommes/femmes.Être homme, y compris
chez les hommes, c'est être le plus fort, le meilleur, celui qui agit.Les
autres, certains homosexuels, les faibles, ceux qui ne veulent pas -
ou ne peuvent - gagner sont assimilés dans le genre masculin - syntaxe
comprise - aux femmes "1. Et lorsque l'on se retrouve après des processus
de construction sociale, d'apprentissage, de rapports de force, en position
de dominant, il n'y a objectivement aucune raison de descendre de son
piédestal.
Nous (les hommes dans leur globalité) avons une place de choix dans
le système patriarcal puisque nous occupons la plus haute marche du
podium, c'est-à-dire que nous opprimons les autres, ceux, ou plus exactement
celles, qui n'ont pas eu l'incommensurable honneur de naître couillu!
Comme dans le rapport maître/esclave où le maître ne change que sous
la contrainte, dans les rapports hommes/femmes, les hommes ne changent
que forcés.Par qui? par quoi? En premier lieu par les conséquences des
luttes et réflexions féministes, mais aussi parce qu'entre hommes la
guerre est impitoyable et qu'elle ne fait pas que des vainqueurs.
Il est commun de penser que les hommes ont beaucoup à perdre à la libération
des femmes et pourtant des hommes participent aux luttes antisexistes,
antipatriarcales.Est-ce par solidarité désintéressée, est-ce que se
sont des refoulés, veulent-ils se faire pardonner des fautes inavouables,
sont-il des espions, ont-ils d'autres intérêts?
o Les luttes
féministes créent une situation nouvelle où est remise en cause la suprématie
masculine.
" Les hommes ont vu leurs certitudes s'effriter une à une, au cours
des dernières décennies.Leur identité, leur couple, leurs rôles sociaux
et familiaux ont été remis en question, voire bouleversés.Maintenant
que les femmes réclament autant dans la vie privée que dans la vie publique
l'autonomie et l'égalité, de nombreux hommes sentent leur place leur
échapper.le nouvel équilibre entre les sexes peut cependant s'avérer
l'occasion pour les hommes de penser et d'organiser différemment leur
existence2 . Face à ces bouleversements, ils doivent chercher d'autres
repères.
Cette dimension collective peut aller de paire avec une approche plus
individuelle notamment lorsqu'on vit, travaille, milite, discute, se
confronte avec des féministes et que l'on se fait renvoyer au quotidien,
et à juste titre, notre statut de mâle, notre rôle d'opresseur.
Si cette confrontation est douloureuse elle n'en n'est pas moins salutaire
pour nous et pour les autres.
Un autre vecteur de prise de conscience est notre rapport aux autres
hommes, à l'image, aux attitudes que l'on est censé reproduire en tant
que mec " normal ". Certains parce qu'ils n'arrivent à prendre en charge
leur rôle de macho, sûr de lui, etc. ou parce qu'ils sont considérés
comme des sous hommes (des " femmelettes ") par les autres hommes, en
raison de leur physique, de leur caractère, de leur sexualité… vont
se remettre en cause. On peut être un homme et avoir la nausée face
à la violence masculine, à l'homophobie, au virilisme, etc...
Ce n'est pas parce
qu'il existe des conditions, amenées par les luttes de libération des
femmes, favorables au changement qu'il n'existe pas des résistances
de la part des hommes.Le changement n'est pas mécanique.Et pour cause,
nous sommes toujours les garants et les bénéficiaires de la société
dans laquelle nous vivons; société faite par les hommes et pour les
hommes.
À partir de là, on peut s'interroger sur notre place, forcément particulière,
dans une lutte pour l'abolition du patriarcat.
o La fin du
patriarcat on a tout à y gagner!
" Contrairement aux femmes et aux minorités (nationales, ethniques,
sexuelles, etc.) qui, au cours des dernières décennies, ont revendiqués
l'amélioration de leur condition, les hommes n'ont d'autres adversaires
qu'eux mêmes. Les hommes ne peuvent s'en prendre qu'à eux, sinon comme
individu du moins comme collectivité3 . Même si notre premier réflexe
est de faire la sourde oreille, de s'arcqueboutter sur nos privilèges,
de refuser de changer, nous avons tout à gagner de cette remise en cause
de nos comportements.
L'abolition du patriarcat pour les hommes, c'est aussi la fin d'un modèle.
Ce qui ne signifie pas pour autant le néant mais plutôt la recherche
d'autres modèles.
Si pour paraphraser Simone de Beauvoir, on ne naît pas homme on le devient,
pour chacun d'entre nous et pour la collectivité s'ouvre une possibilité
de déconstruction..La première étape est de se remettre en cause au
quotidien concernant ses attitudes, comportements, valeurs.La remise
en cause de pans entiers ne sa vie n'est pas évident.
Mieux se connaître,
s'exprimer sous d'autres formes que la violence ou le mutisme, changer
ses rapports avec les femmes et avec les autres hommes, etc. s'est un
peu explorer l'inconnu mais cela peut être une perspective plutôt jouissive
et pourtant guerre portée en dehors de quelques groupes non-mixtes hommes
existants.
Alors que les libertaires devraient complètement s'inscrire dans une
démarche antipatriarcale, vu les valeurs qu'ils avancent (anti-autoritarisme,
égalité, émancipation...), on s'aperçoit que souvent ces derniers se
cantonnent souvent à un antisexisme de circonstances, un peu artificiel:
surveiller son langage, ses attitudes sans se remettre véritablement
en cause.
Les hommes sont censés prouver jour après jour qu'ils sont des hommes
notamment en affirmant leur domination sur les femmes; domination qui
recouvre énormément de formes, plus ou moins identifiables, encouragées,
et diffuses.
S'affirmer comme mâle dominant, implique aussi entre hommes une apre
compétition, un culte de la virilité, de la performance, une course
au pouvoir mais aussi des échanges relationnels extrémement superficiels
ou les émotions et les sentiments n'ont pas de place.
Si nous sommes
solidaires des luttes féministes, ce n'est pas pour parler à leur place,
ni pour se réapproprier les rares espaces de la société dont nous ne
sommes pas maîtres. Christine Delphy rappelle dans un texte incontournable
qui démonte les principaux poncifs féministes émis par les hommes (révélant
la plupart du temps une pensée antiféministe!)4, que " la libération
des opprimés est d'abord sinon seulement, l'œuvre des opprimés […] les
oppresseurs ne sauraient jouer le même rôle dans les luttes de libération
que les opprimés . C'est à partir de notre place d'homme que l'on doit
réfléchir, se déconstruire, lutter. Un des enjeux de notre engagement
doit être de faire émerger chez les hommes une vision critique de leur
réalité.
1.
M.-F. Pichevin, D. Welzer-Lang, " Préambule ", Des hommes et du masculin,
ouvrage collectif, Presses universitaires de Lyon, 1992, p. 11.
2.
M. Dorais, " Pour une approche masculiniste ", op. cit, p. 193.
3.
ibid, p. 193.
4.
" Nos amis et nous. Fondements cachés de quelques discours pseudo-féministes.
", L'ennemi principal. Économie politique du patriarcat, Syllepse, 1998,
pp. 167-215.