Début d'une libération
réflexions suite aux discussions de La Croisière V

sommaire du dossier COMING OUT

Tandis que le premier atelier sur le coming-out se concentrait sur les histoires individuelles des participants, le deuxième était dominé par la question de la définition du coming-out. C'était bien difficile et finalement sans résultat concret. A mon avis c'était pourtant bien utile de se casser la tête sur la complexité de cette problématique qu'on appelle coming-out. Et heureusement qu'on peut nommer la chose, ce qui nous permet d'en parler. Nous distinguons donc entre le phénomène (ou plus explicitement: le processus) et son nom.

Même si on n'arrivait pas à définir clairement le coming-out, on a réussi tout de même à le décrire à partir de nos propres vécus. Probablement on arriverait à convenir à ce qu'il s'agit d'un processus qui se doit d'une situation initiale, et ainsi aussi d'une situation finale. Quant aux PDs, la première est, le plus souvent, celle d'un garçon sensé s'intégrer dans la société hétérosexuelle et contribuer activement à sa reproduction. Le coming-out interrompt de manière plus ou moins radicale cette intégration, et il accouche d'un membre (d'une manière ou d'une autre) de la classe des PDs. Oui, le terme de " classe " me semble, dans ce contexte, bien mieux approprié que celui de " communauté gay " qui serait déjà trop restrictif. La " classe " implique sans ambiguïté aussi les PDs qui ne s'affichent pas gay du tout. Et politiquement je n'aime pas être assimilé à " La communauté gay " qui intègre aveuglement les pédés fachos, violeurs, pédosexuels ou néolibéraux. Ça ne peut pas être ma " communauté gay " à moi.

Pour avoir un point de repère, j'ai consulté des dictionnaires de référence usuels. Tandis que Petit Robert et Cie font toujours semblant de ne pas connaître le mot " coming-out ", Le dico de langue allemande (" Duden ") considère dans son édition de 1983, le coming-out surtout comme " déclaration publique de sa prédisposition homosexuelle ". C'est un peu simpliste, mais bon, une déclaration publique est effectivement un acte politique. Cette implication me semble tout à fait intéressante et utile. Il est donc possible de faire des coming-outs tous les jours. Je ne l'avais pas encore vu de cette manière. C'est malgré tout inspirant de feuilleter les dicos. Toujours le même dico allemand accorde au coming-out une deuxième signification: " rendre publique qqch (comme acte conscient) ". Ceci correspond parfaitement au dico anglais (" Collins ") de 1995, qui ne parle même pas d'homosexualité dans sa définition. N'oubliez donc pas lorsque vous papotez en anglais, de bien préciser s'il s'agit d'un coming-out de PD. Et en allemand aussi, car dans l'édition 1995 du dico respectif, le rapport avec les PDs et les goudous a cédé sa place de signification première à la version généraliste. Lesquels seraient donc les autres coming-out? Je pense notamment à ceux évoqués plutôt en marge des discussions à la dernière Croisière, notamment les coming-outs de transgenre, de victime de violence sexuelle, ou encore de prostitué. Dans ce sens, le coming-out pourrait alors aussi être considéré comme la construction d'une identité. Différents coming-outs amèneraient à différentes identités qui engendreraient différents parcours de libération, de manière tout à fait dialectique. Fiona Frick, rédactrice au magazine " 360° ", constate dans le N° 13 (sept. 2000) que " l'utilisation de l'expression coming out fait son chemin dans la francophonie grâce à quelques lexicologues embrouillés mais plus audacieux et aux médias qui l'emploient pour désigner les situations les plus diverses ". L'utilisation généraliste serait donc aussi de tendance dans la langue française. Clairement liée à l'homosexualité est la définition que Frick trouve dans le dico franglais-français d'Alfred Gilder* pour qui le coming out est synonyme d'outing, soit un aveu public ou une déclaration d'homosexualité. Je ne suis pas vraiment d'accord avec lui. Le outing est bien la déclaration publique d'homosexualité mais celle d'une autre personne. Outil de lutte gay radicale, le outing est dans son sens premier la dénonciation publique de l'homosexualité cachée d'un personnage plus ou moins célèbre qui aurait, par sa célébrité, le pouvoir de faire avancer la cause gay en en parlant ouvertement. Ça n'a donc rien à voir avec mon coming-out de jeune pédé et star méconnue il y a quelques années.

Je repense aux deux des documentaires de Carole Roussopulos qu'on a visionnés à la dernière Croisière. Les deux, parlant de la même époque post-68, ont retenu ma plus grande attention. Celui sur l'histoire du MLF (1999) m'a même mis les larmes aux yeux. Dans l'autre sur le FHAR (1971) j'ai retenu une phrase. " Je ne suis pas libéré, j'espère que le FHAR va me libérer ". Le garçon qui s'exclame a visiblement déjà fait son coming-out, il a même l'air assuré dans sa nouvelle identité. Et pourtant il dit ne pas être libéré. Ne serait-ce peut-être pas que le coming-out est le début de la libération dont il parle? On a vu, dans un atelier de la même Croisière, que le coming-out pouvait être forcé, soit par la surprenante et débandante présence d'hétéros (dans la plupart des cas) qui font partie de l'entourage social direct, soit comme seule alternative au suicide. Par contre la libération elle se choisit. Ce choix peut prendre des formes hautement politisées. Il dépend toutefois du coming-out pour que cet interminable processus de libération implique à la fois le corps et la sexualité, la conscience et la connaissance, tout comme les rapports sociaux. Le coming-out restera un aspect important pendant tout le processus de libération. En tant que PD (je préfère parler depuis ma propre place au lieu d'entreprendre une généralisation), on vit et revit régulièrement, sous des formes plus ou moins violentes, les même situations angoissantes qu'à l'époque du coming-out. Et ça peut aussi bien stimuler que freiner la libération. On sort du placard, et on est nulle part, simplement entreposé quelque part dans le monde des hétéros. On est là sans savoir ou aller, mais on est 'dehors'. La libération quant à elle, tend vers une finalité. Elle nous propose des choix.

Par Inferna K.

* Alfred Gilder: En vrai français dans le texte, dictionnaire franglais-français, éd. Le Cherche-Midi, 1999.


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