Après le coming out: no future?

sommaire du dossier COMING OUT

l'identité gaie entre
intégrationnisme et séparatisme

Suite à un atelier de la dernière Croisière, je me suis posé tout plein de questions par rapport au coming-out, et notamment sur sa définition. Pour tenter de cerner cette dernière, je considère le coming-out comme la condition absolue pour l'acquisition d'une identité gay. (Je ne parle que pour des garçons car je ne peux parler que pour les garçons). Le moyen de construction d'une identité est la parole. Ainsi je situe le coming-out dans la vie d'un gay au moment où il réussit à verbaliser son homosexualité. Ça n'implique d'ailleurs pas forcément la famille.

L'identité de la différence

Une chose que la présidente de la confédération suisse ne semble pas piger, c'est que la discrimination n'est pas le problème qui prime lorsqu'il s'agit de sortir du placard: " Parler pour s'affirmer gay ou lesbienne est une gageure. C'est courir le risque d'être discriminé par sa propre parole. Mais en même temps, parler c'est s'affirmer face aux autres. C'est communiquer. Celui ou celle qui parle pour préciser les contours de son identité revendique aussi une appartenance, et rejoint ainsi celles et ceux qui partagent la même destinée, ici l'orientation sexuelle. Certes, cela ne garantit pas l'absence de discrimination. Mais grâce à cette parole libérée, la solitude peut être vaincue. Et refuser la solitude est une des motivations premières qui pousse au coming out. "1 Mais je trouve pertinent son texte quant au rapprochement qu'elle fait entre l'identité et la parole. Qu'est-ce que donc l'identité? Le terme s'utilise de manière diverse au point que sa définition nécessiterait un long débat. Selon le Petit Robert, " l'identité personnelle [est le] caractère de ce qui demeure identique à soi-même "2 . Une autre définition que j'ai trouvée chez Krappman3 a retenu mon attention: l'identité comme acte de balance (équilibrage). La vie à l'intérieur d'une société nécessiterait un équilibrage entre deux attentes auxquelles l'individu serait confronté. Il s'agirait d'une part de l'adaptation aux conditions sociales (" vouloir être comme les autres " = identité sociale), et d'autre part la volonté d'être unique au monde afin d'éviter de se noyer dans la société (" vouloir être différent " = identité personnelle). De l'équilibrage entre ces deux pôles résulterait l'identité de soi.

Le chantier de l'identité

Comment se fait alors la construction une identité? Pour Mead4 elle se fait par l'interaction entre au moins deux personnes. Dans l'interaction, c'est-à-dire dans tout rapport social, l'individu fait l'expérience tant d'objet que de sujet social. Et le moyen principal d'interaction serait la parole car ce ne serait qu'elle qui permettrait à l'individu, dans une situation d'interaction, de percevoir les attentes d'autrui et de les mettre en rapport d'équilibrage avec ses propres attentes à soi-même afin de prendre conscience de son propre rôle. Le lien entre l'identité et la parole est en conséquence très étroit et impératif. L'identité serait alors le produit de l'interaction forcément linguistique, elle s'exprime par la parole, elle attribue à l'individu une place définie dans un système social et lui permet d'être reconnaissable dans d'autres situations sociales.

L'identité et le mouvement divisé

L'affirmation d'une identité c'est aussi marquer une différence, c'est marquer une séparation de la société " normale ". Ça fait une bonne centaine d'années que des gays s'organisent pour débattre la dimension politique de l'identité homosexuelle. Depuis le début, cette lutte sociale se trouve dans un champs de tension entre séparatisme et intégrationnisme. Ce dernier peut se résumer à la revendication du " droit à l'indifférence ". A la Lesbian'n'Gay Pride de Lausanne en 1998, les principales des rares banderoles prônaient " Nous ne sommes pas des extraterrestres. Nous sommes comme vous ", revendiquaient cette non différence comme argument d'intégration des gouines et des pédés dans la société hétéronormale. La différence entre hétéro et homo serait alors juste la " préférence sexuelle " qui elle n'engagerait que le domaine du privé mais pas celui du politique. L'approche intégrationniste est en forte contradiction avec le courant séparatiste qui, quant à lui, considère l'identité gay comme différence primordiale affectant aussi bien le privé que le public ou politique. Souvent en analogie avec le féminisme radical, il refuse l'intégration des pédés dans la société hétéronormale.

Histoire d'une bipolarité

Le slogan " Notre trou du cul est révolutionnaire ", scandé à Paris au début des seventies, exclut clairement que les pédés seraient comme les hétéros. C'est à cette époque aussi que le courant séparatiste vit sa période la plus forte dans l'histoire des gays dans les pays occidentaux. Le " Front homosexuel d'action révolutionnaire " (FHAR, lesbien-gay) en France est alors la réponse séparatiste à l'intégrationnisme d'" Arcadie " des années 50 et 60, mouvement " homophile " (avec une minorité lesbienne), qui excluait les folles tantes car forcément nuisible à la belle image de l'homosexuel intégrable. Selon Girard5 , le déclic pour la création du FHAR était l'exclusion d'Arcadie de la lesbienne Françoise d'Eaubonne suite à sa déclaration séparatiste: " Vous dites que la société doit intégrer les homosexuels, moi je dis que les homosexuels doivent désintégrer la société. "6

Mais comme le démontre aussi le texte intitulé " Les pédés et la révolution " publié dans le Rapport contre la normalité7 de la même époque, c'est bien le séparatisme qui dérange le plus la conception hétéronormale du monde. Marquer la différence de manière visible devient un moyen d'expression politique radical chez les pédés.

Mais la gloire du séparatisme n'a duré que quelques années. Jacques Girard, anciennement participant au FHAR, fait, en 1981, un bilan plutôt résignatif: " La fin des années 1970 marque la fin de la période des grandes idéologies. Le rêve de 68 s'est dissipé... [...] La jeunesse dans les écoles n'a plus d'idéologie à ronger. Elle est tout aussi exaspérée ou passive à l'écoute des simples noms de Marx ou de Freud. On parlera même de bof génération. C'est qu'elle aspire à vivre aujourd'hui et tout de suite, sans grande conviction d'ailleurs. Elle ne veut plus se battre avec abnégation; et même pour les militants, en attendant le Grand Soir, il y a plein de petits soirs. Le militantisme est en crise. Même les mouvements féministes se fanent!... / Les pays de l'Est ont vidé le Marxisme de tout un contenu attractif. Le parti communiste a de plus en plus de mal à justifier les mouvements des chars russes. La bourgeoisie en profite pour lancer une campagne pour les Droits de l'Homme, orchestrée par les nouveaux philosophes. Les homosexuels vont prendre le sens du courant et revendiquer leurs droits. "8

Plus modestement que 15 ans auparavant, une nouvelle vague séparatiste ont vu les années sida à la fin des années 80. Mais " déplaire " et " provoquer " les hétéros n'est actuellement pas vraiment à la mode dans les militantismes gay de l'occident et encore moins de France. L'intégrationnisme vit aujourd'hui une période plus forte que jamais. Par conséquent, l'approche séparatiste se voit d'autant plus affaiblie. " La libération homosexuelle n'est plus ce qu'elle était: partie de mouvements contestataires (l'émeute du Stonewall), elle s'est diversifiée au point qu'elle peut aujourd'hui être associée à presque toutes les idéologies. "

La subtilité séparatiste et la Culture

Une Grande Séparatiste certainement qui chantait " mieux vaudrait la haine que l'indifférence "9 ... Elle est morte d'intégration.

Pour approfondir les notions de séparatisme et d'intégrationnisme gais

Selon l'anthropologue québécois Michel Dorais10, une des grandes oppositions qui se dégagent de l'ensemble des discours, des écrits et des représentations concernant l'homosexualité est celle entre les idéologies intégrationniste et séparatiste: " Le courant intégrationniste postule que l'homosexualité est partout présente dans la société et qu'elle devrait par conséquent être traitée exactement de la même façon que l'hétérosexualité quant aux droits sociaux, aux libertés civiles et aux privilèges réservés aux couples et aux familles. Est ainsi recherchée la parité sociale et juridique de tous les citoyens, quels que soient leur sexe, leur genre et surtout leur érotisme. Aussi, la non reconnaissance des unions de fait, voire des mariages, entre personnes de même sexe, est l'une des injustices contre lesquelles luttent activement les intégrationnistes. La plupart des lobbies politiques gais s'inscrivent d'ailleurs dans cette mouvance: reconnaître jusqu'à un certain point les normes sociales afin d'être, en retour, reconnus par elles. Se fondre dans la masse est l'objectif ultime. A la limite, on estime que l'homosexualité devrait constituer une caractéristique mineure, banale même, des personnes qui la vivent, tout comme la couleur de la peau devient une caractéristique très secondaire dans un milieu non raciste.
Le courant séparatiste, à l'opposé, croit en l'existence d'une culture homosexuelle autonome, qui se serait développée en parallèle avec la culture dominante, dite hétérosexuelle. Cette culture homosexuelle serait aisément identifiable, tant sur le plan historique que sur le plan géographique: en témoigne par exemple le Village gai à Montréal ou le quartier du Marais à Paris. Le regretté historien américain John Boswell était l'un des plus ardents défenseurs de cette notion de communauté gaie traversant le temps11. Selon cette perspective, le développement des personnes homosexuelles serait mieux assuré lorsqu'il pourrait tabler sur leur héritage culturel commun, dès lors à préserver. Les tenants de ce courant de pensée en viennent ainsi à voir la communauté gaie ou lesbienne comme un groupe d'appartenance, voire comme une quasi-ethnie. Ils réclament par conséquent que les communautés gaies et lesbiennes soient considérées comme des groupes ethniques dont la spécificité est à préserver.

Il va sans dire que plus le sentiment d'oppression ou d'aliénation ressenti face à la culture dominante est grand, plus la perspective séparatiste semble viable comme moyen de survie individuelle ou collective (quoiqu'il est également possible que l'identité gaie ou lesbienne de type ethnique soit issue précisément de la fréquentation régulière d'un milieu essentiellement homosexuel ou lesbien, ce dernier induisant tôt ou tard un sentiment d'appartenance).

Il semble clair que c'est la répression de l'homosexualité qui a fini par donner à ceux et celles qui aiment ou qui désirent des personnes de leur sexe le sentiment de faire partie d'un groupe injustement mais systématiquement marginalisé et ostracisé. Ce qu'ajoutent les tenants d'une conception séparatiste de la libération homosexuelle, c'est que le repli des personnes homosexuelles sur leur groupe de pairs fut une excellente réaction d'autodéfense, qu'il importe de leur maintenir. Le retranchement de ces dernières à l'intérieur d'une culture et d'une communauté gaies ou lesbiennes auxquelles elles ont choisi d'adhérer ne pose donc, de ce pont de vue, aucun problème. Au contraire, leur existence et leur développement maximiseraient à la fois la solidarité, le pouvoir collectif et la protection contre l'intolérance de la société globale. Tout comme le fait de choisir, jadis des métiers non traditionnels était, pour les hommes ou les femmes qui voulaient vivre ouvertement leur homosexualité, une façon de se protéger en se retrouvant entre eux.

Les militants intégrationnistes répondent au point de vue séparatiste que le " ghetto " gai ou lesbien peut aussi être une commode façon de confiner l'homosexualité dans un espace géographiquement et relationnellement clos. Ils vont jusqu'à se demander si la prétendue " différence " homosexuelle ne serait pas plus acceptable lorsque visible uniquement dans les lieux convenus d'avance, enfermement qui la rendrait moins menaçante aux yeux du grand public. Les séparatistes contre attaquent en soulignant que l'intégration à tout prix va dans le sens d'une normalisation de l'homosexualité, sinon d'un effacement des différences qui seraient jugées choquantes par la population dite hétérosexuelle. Certains promoteurs de l'intégration ne tiennent-ils pas volontiers des propos désobligeants à l'égard des hommes efféminés et des femmes masculines, par exemple, que l'on accepte de donner une image biaisée de l'homosexualité, ou encore à l'endroit des adeptes d'une sexualité impersonnelle, à qui l'on reproche d'être immoraux et de courir inutilement des risques (comme si l'amour romantique ne comportait pas aussi ses risques, telle la jalousie et ses violences, sans une déviance, connaître l'identité de son partenaire peut donner lieu à du chantage, à des dénonciations, etc.)? "

No future?

Par Nuttella de Lirio elle-même

 

1-Ruth Dreifuss in: RIETHAUSER Stéphane, A visage découvert, Genève 2000.
2-Le Nouveau Petit Robert, Paris 1993.
3-KRAPPMAN L., Soziologische Dimension der Identität, Stuttgart 1988
4-MEAD G. H., Geist, Identität und Gesellschaft, Francfort/M. 1991.
5-GIRARD Jacques Le mouvement homosexuel en France 1945-1980, Paris 1981.
6-Citation selon GIRARD (1981)
7-FHAR: Rapport contre la normalité, Paris 1971.
8-GIRARD (1981)
9-Dalida dans la chanson " Ciao amore "
10-DORAIS Michel, Eloge de la diversité sexuelle, Montréal 1999.
11-J. Boswell, Christianisme, tolérance sociale et homosexualité, Paris, Gallimard, 1985; Same Sex Unions in Premodern Europe, New York, Vintage, 1995.

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