Délégitimer la famille

sommaire du dossier COMING OUT

Extrait du code civil

Article 371:
L'enfant à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère.
Article 371-1:
Il reste sous leur autorité jusqu'à sa majorité ou son émancipation.
Article 371-2:
L'autorité appartient aux père et mère pour protéger l'enfant dans sa sécurité sa santé et sa moralité.
Ils ont à son égard droit et devoir de garde, de surveillance et d'éducation.
Article 371-3:
L'enfant ne peut sans permission des père et mère, quitter la maison familiale et il ne peut en être retiré que dans les cas de nécessité que détermine la loi.

Les temps changent : jusqu'à une période récente, c'était la droite, qu'elle soit gaulliste, catholique ou centriste, qui incarnait la défense des valeurs de la famille . Aujourd'hui, les cartes sont brouillées : la gauche, du moins celle qui est au pouvoir, s'est appropriée le thème pour s'en faire dorénavant la championne. En témoignent les annonces de Marilyse Lebrachu, Ministre de la justice, le 4 avril dernier, où les ambitions réformatrices
affichées il y a quelques années déjà se sont réduites à peau de chagrin : les discours officiels, quels qu'ils soient, ont au moins pour point commun de proclamer la famille comme pièce fondamentale de nos sociétés. Plus paradoxal encore, c'est un terrain qu'une partie du mouvement associatif gai et lesbien souhaite occuper : la demande d'adhésion récente de l'Association des Parents et futurs Parents Gais et Lesbiens (APGL) à la très conservatrice Union Nationale des Associations Familliales (UNAF) se veut peut-être acte de subversion, elle légitime de fait cette instance dite représentative dans nos institutions, et par ce biais, sonne comme un renoncement à inventer d'autres types de rapports inter-individuels. Les orientations du gouvernement de la gauche plurielle comme cette initiative associative ne sont ni plus ni moins le reflet de ce consensus aussi
mou qu'étouffant.

La famille viole !

59% des filles agressées sexuellement le sont par leur père (chiffres du ministère de l'intérieur suisse), et le papa est en cause dans 25% des agressions sexuelles sur les garçons. En France, le service national d'accueil téléphonique pour l'enfance maltraitée (SNATEM) recense que 67% des actes d'agressions sexuelles sur enfant sont commis par des membres de la famille proche (père, mère, frère, sœur, beau-père, belle-mère, grands-parents). A part ça, la famille est facteur de sécurité, c'est elle qu'on subventionne à coup d'allocations dans l'espoir qu'elle garantisse la paix sociale. C'est à son absence, à sa déliquescence, à sa désagrégation que l'on reproche les bagnoles flambées, les vitrines brisées et les seringues dans les cages escalier. Les politiques familiales sont le substitut bien commode des politiques sociales, lorsque celles-ci s'avèrent inopérantes. La famille est toute trouvée pour aider à masquer une incapacité politique à produire de la solidarité là où il en manque, et pour compléter un dispositif sécuritaire à base de répression. Mais c'est souvent en oubliant qu'elle est le premier lieu de toutes les violences, celles citées plus haut n'étant que la partie émergée d'un iceberg d'angoisses et de souffrances, notamment quand on est homo.

La famille contre le coming-out

C'est écrit dans le nouvel obs, la famille de gauche, c'est la famille où les enfants parle de leur cul à leur parents. Les parents ont pour devoir d'expliquer les choses du sexe à leurs enfants, et ceux-ci doivent pouvoir se sentir libre de se confier à eux. Félicitons les familles où cela se passe à merveille. Décorons les vraies familles de progrès ; cellle où père,mère, frères, soeurs, grands-parents, oncles et tantes se disent : "c'est vraiment in d'avoir un type pédé dans la famille, ma chère, c'est à la mode, on ne parle que de ça à la télé sur cana1 !" C'est cependant l'exception: entre la famille branchouille qui offre au gamin des talons compensés pour ses 18 ans, et celle, plus courante, où le père jette son gosse pédé à la rue fusil en main, et où la fille lesbienne est internée, il y a tout un continuum d'acceptation tolérante mêlée à plus ou moins de rejet, avec comme constante l'angoisse qui précède le coming out. Car ce modèle idéal de la famille où l'on se dit tout est terriblement oppresseur: ne pas faire son coming out auprès de ses parents, ne pas leur parler de son intimité, c'est échouer. A cet échec se mêle souvent un sentiment de culpabilité ou de trahison : "Ce n'est pas ce que mes parents attendent de moi, et je leur mens". Le coming out en famille est en effet devenu un passage obligé : la presse gaie et parfois le milieu associatif pousse inconsidérément à la sortie du placard devant sa famille, comme s'il s'agissait là d'une obligation, comme si sa vie privée devait obligatoirement être partagée avec les parents. Or, quand on est amoureux/se, on a peut-être autre chose à penser que de s'occuper de ses vieux et de se pourrir l'existence à réfléchir à comment leur parler de ce qui ne les regarde pas, non ?

Inventer des espaces de solidarités alternatifs à la famille

La famille, qu'elle soit traditionnelle ou moderne, est destructrice par le monopole qu'on lui prête à régir l'ensemble des relations inter-individuelles. A un tel point que, lorsque des relations sincères et intimes se tissent avec des personnes extérieures, d'aucuns sont tentés de les faire rentrer dans leur famille : "Ma famille, ce sont mes amis et toutes les personnes que j'aime". Le pacs a lui-même été jugé frustrant par certains en ce qu'il donnait un statut de "couple" aux partenaires, et non un statut familial. Dans l'un ou l'autre cas, on comprend qu'une relation inter-personnelle se doit d'être familiale pour avoir une quelconque valeur, sinon elle est tout de suite dépréciée. Il n'y a rien d'étonnant que le coming out soit alors dramatisé tel qu'il l'est aujourd'hui: les conséquences d'un coming-out raté sont en effet parfois tragiques, car en l'absence d'autres lieux de solidarités que la cellule familiale, c'est le monde qui s'écroule pour le jeune fichu à la porte.

Des espaces tiers restent à être inventés. Il n'y a aujourd'hui que peu de possibilité pour un jeune qui découvre son homosexualité de se confier à d'autres personnes que ses parents: la tâche ne revient pas qu'aux ami-e-s, c'est à la société de trouver de tels interlocuteurs. De même, alors que le mouvement associatif dans son ensemble milite très légitimement pour l'accès au mariage, ne lui revient-il pas de proposer à la société d'autres modèles que la seule famille pour organiser de nouvelles solidarités inter-individuelles? Si l'on parle d'histoire collective des gais et des lesbiennes, alors le mariage en fait partie, en ce qu'il a été - et est encore - le mode de vie normal des homosexuels qui paient leur intégration au prix de la négation de leur identité. Se marier dans nos pays, c'est sans doute mieux que de se faire interner et d'être traité aux hormones comme dans l'URSS de la belle époque. Fonder une famille, c'est ce qui a sauvé des millions d'homosexuels du rejet, de la prison ou de la déportation. Un pas émancipateur a aujourd'hui été franchi avec le pacs, qu'il faut peut-être encore radicaliser pour le distinguer réellement du mariage. Il serait dommage de s'arrêter là.

Par Alain Piriou

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