EPISODE
1.
J'AI EGORGE MON PRINCE UBER ALLES. C'EST CHARMANT!
J'ai rencontré mon prince charmant il y a longtemps. Le conte de
fée fût bref, intense, destructeur et gluant comme la plupart
des contes de fées.
A l'époque (c'était au XXème siècle) mon Prince
charmant Uber Alles avait tout pour lui puisque je n'étais rien
pour moi. Il était tout.
Il s'appelait Bruno (1), un prénom qui ressemble au banal mais
qui pour moi résonnait comme un hymne à l'amour dans mon
cur dévot de petite cloche d'église. Cela durera des
années par la suite.
Bruno était mature. Macho. Il portait un blouson noir et des lunettes
noires. Il paraissait sûr de lui. Il avait le permis de conduire.
Il roulait en DS méga-frime et confort. Il avait une âme
de prolo. Il avait une âme de petit voyou. Il ne disait que des
choses vraies. Je le trouvais extrêmement beau. Il avait une carriole
et des chevaux qu'il avait parfois attelés pour des balades romantiques
dans les brumes des chemins normands. Il buvait du vin blanc et pouvait
être bagarreur. Violent. Il était très très
proche de la perfection.
C'était mon homme. Mon jule à moi.
Je l'adorais.
Il était, en plus, celui pour lequel et avec lequel je m'étais
cassé et enfin débarrassé du cauchemar de la famille.
J'aurai pu être sa serpillière s'il me l'avait demandé,
mais je n'ai été que son ombre. Jusqu'à ce qu'il
me jette. Qu'il me quitte. Qu'il me laisse. Moi, mes fardeaux fécaux
et les cadavres de mes abandons. Avec mes larmes. Mes nuds de boyaux
qui me coupaient l'appétit comme des lames. Mon glourp dans la
gorge qui me donnait pas envie de manger. Moi et mon vide. Comme une merde.
Comme une fiente vert et grise de poule morte sous un soleil de plomb.
Comme un rien qui sent mauvais.
J'ai aimé Bruno d'un amour qui marche à genoux.
J'ai aimé Bruno d'un amour qui m'oubliait.
J'ai aimé Bruno d'un amour dans lequel je m'oubliais.
C'était il y a longtemps, au temps de mon adolescence.
Des drogues interdites et autres hectolitres de bières et alcools
sont passés sous les ponts depuis. Je me suis offert des années
de grasses matinées pour guérir. Je ne travaille pas pour
ne pas me faire grignoter ce qu'il me reste de résistance (et parce
que je suis en colère, que j'ai pas envie de suer pour un boss,
et parce que je suis assez feignasse aussi...).
Je continue à me ramasser des pelletées de gadins et autres
râteaux. Des flops amoureux.
Mais aujourd'hui, j'assume. Et je m'en fout de plus en plus.
J'ai pleuré. Je me suis mangé des crises de larmes. D'angoisses.
De dépressions.
Mais depuis que je suis atteint de jemenfoutisme aigu, ça va beaucoup
mieux.
Je continue à tomber amoureux quasi une fois par an, lorsque les
phéromones de l'amour se dilatent libideusement dans ma tête
et dans mon cur. Le printemps et l'été, essentiellement.
L'automne est l'époque rituelle des bilans : que s'est-il passé
de mars à novembre ? Qui j'ai rencontré ? Avec qui j'ai
couché ? Combien de bites j'ai sucé ? Avec qui j'ai bien
kiffé ? Avec qui je me suis marré ? Combien de fois j'ai
fais la chèvre ? Combien de plans glauques ? Jusqu'où je
me suis traîné dans les boues de ma déchéance
?
Il n'y a, en général, pas de quoi fouetter un chat. Les
étés sont arides. D'autant plus que je suis extrêmement
coincé.
Mais aujourd'hui je m'en fout.
J'ai cru croisé une multitude de princes charmants, moins Uber
Alles que mon Bruno. Je ne crois pas avoir été une bien
grande Ladie Di pour eux.
Tanpis.
Je les emmerde.
(De toute façon la plupart était des bisexuels qui depuis
sont devenus des pères de famille. J'ai quand même échappé
au pire !).
Alors, depuis quelques temps, je ne cherche plus. Je m'en fout. De ça
et du reste. Je ne peux pas demander à un gars de m'aimer si je
ne sais pas le faire moi-même. Je crie que je suis chaste. Je ne
cherche plus à être aimé ou à plaire aux connus
et aux inconnus. Je m'en fous et ça me fait du bien.
J'apprends à m'aimer. A me plaire. A me trouvé beau. A me
respecter. A ne pas me dévaloriser. Je suis mon prince charmant.
C'est assez égocentral mais je m'en torche le poil des aisselles.
Je suis droitier et je me masturbe de la main gauche. Ca me donne l'impression
que c'est la main de quelqu'un d'autre. J'utilise des miroirs pour me
faire croire que je regarde un film porno, ou qu'on est plusieurs à
se toucher.
Je ne veux pas être agréable.
Je suis de plus en plus insupportable.
Et j'aime ça.
Sa Chasteté Jean-Pol Carbone XIV.
(1) Lire, déjà,
au sujet de mon idole, de mon jule, de mon Bruno, la déjà
pathétique "Mémoire anthume d'une pédale immature",
2ème épisode, dans le Bangbang 4, p. 43.
MEMOIRES
IMMATURES D'UNE PEDALE ANTHUME. EPISODE 2.
Il arrive parfois que je me surestime.
Lors de la Croisière VI, j'ai profité d'un tragique débordement
d'assurance en "moi-je" pour proposer un atelier de discussion
sur le suicide. Je pensais avoir enterrer mes troubles existentiels, mes
confrontations entre ma vie (la vraie et la fausse) et ma futur mort.
Je me sentais donc tout à fait apte à attaquer ces histoires,
de parler de mes envies, de mes tentatives et S.O.S., et d'écouter
celles des autres. Surtout que mes lâchetés et autres instincts
de survie m'avaient permis de ne pas m'infliger la peine capitale.
Je suis ressorti liquéfié et barbouillé des intestins
de l'atelier...
Je n'ai jamais
été très téméraire avec ma mort. J'ai
bien essayé de croquer quelques cachetons et gélules lorsque
j'avais treize ans. Un lundi soir, j'ai gobé ce qui traînait
dans la boite à pharmacie de la salle de bain. Pas trop pour pas
mourir mais juste assez pour être malade et rendre visible mon "aidez-moi-aimez-moi".
Etre aimé ou mourir. Un petit échantillon de chantage affectif,
en quelque sorte, en attendant d'avoir le flacon entier s'il vous convient.
Pas de chance. Il ne s'est absolument rien passé. J'ai bien dormi.
Je n'ai pas eu de fièvre. Je n'ai même pas vomi un morceau
de bile véreuse. Rien. Je suis allé au collège le
mardi matin. Comme si rien ne s'était passé. Personne ne
s'est aperçu de quoique ce soit. J'avais pourtant pris de ces pilules
roses et de ces cachetons blancs. Nikouf. Rien de rien. Si ça se
trouve c'était des truc pour ne pas être enceinte. Je ne
suis donc pas été enceinte.
Ma tentative de suicide a été un échec. Je n'ai jamais
recommencé puisque je suis devenu lâche et fuyant entre temps.
Je n'ai cependant
cessé de penser à me foutre en l'air parce que je souffrais,
et que ma mort était l'unique secours à mes angoisses. Mourir
pour être libre. Pour ne plus sentir ces nuds qui me déchiraient
du ventre jusqu'à la gorge. Mourir pour ne plus avoir à
supporter cette boite crânienne en ébullition permanente,
ces bastons, ces haines, ces incompréhensions, ces envies de chépaquoi,
ces émotions virulentes, ces envies de détruire, ces mots
qui courent dans tous les sens, ces sentiments de persécution et
de perceuse électrique qui me grignotaient la cervelle. Mourir
pour ne plus avoir la tête comme un blockhaus, ou une cocotte-minute.
Pour ne plus sentir ce petit fil tendu dans le crâne qui me retenait
dans la normalité et la non-folie et qui menaçait souvent
de se casser tellement il était effilé. Mourir pour ne plus
sentir mon cur comme une pierre. Jusqu'à ce que récemment
je m'aperçoive que mourir c'est mourir. Que mort je ne serai pas
libéré mais mort. Un morceau de viande grisâtre et
malpropre à la consommation tellement je sentirai le faisandé.
A force de vouloir mourir, je me aussi aperçu que mes dépressions
au bout du rouleau étaient des moments charnières, des moments
de questionnement qu'il ne fallait plus éviter. Que dans ma volonté
consciente et inconsciente de me détruire naissaient de nouvelles
envies, ou des nouveaux refus de ce que je considère nuisible pour
mon existence. Que du pourri germait du beau.
Ma lâcheté et autres instincts de survie se sont bien démerdé
avec ma mort.
Aujourd'hui, il me semble que de pouvoir choisir sa mort est un droit
pour les personnes qui se pensent exigeantes avec leur existence, et pour
celles qui sont épuisées. Même si je ne crois pas
qu'on choisisse grand chose. Même si nos choix sont plutôt
des conséquences de. Société de merde. Enfance de
merde. Parents imbuvables. Boulot à chier. Vide à combler.
Monotonie ou communications bloquées. Enfermement. Emmerdement.
Envie d'être aiméE. Avec de l'absence qui fait mal à
la tête. Solitude. Je veux choisir ma vie de merde. Je veux choisir
ma mort aussi. Comme le chantait Dalida.
En réfléchissant sans exagération c'est comme une
idée libérale sur le libre choix de (sur)vivre ou de mourir
comme on veut. Un privilège que les habitantEs de l'hémisphère
nord peuvent s'offrir, puisque celles et ceux du sud ont les guerres,
les famines et les tremblements de terre pour leur rappeler que, justement,
les privilèges se méritent.
Oui. Il y a aussi la révolution qui pourrait, à ce qu'on
dit, nous sortir de là. Mais la plupart des révolutionnaires
et autres bonimenteurs que j'ai croisé m'ont passé l'envie.
En plus, si la révolution doit être hétérosexuelle,
ça me fait pas rire du tout.
Puis depuis
quelques temps il y a ce moi-moi et moi, mon vide, mon oisiveté
et mon envie de me marrer. Je fais bien trop la sieste pour que mon suicide
me tombe dessus. Il est d'autant plus fort probable qu'une quelconque
maladie me rattrapera en cours de route, un cancer du colon ou autres
banalités. Que je mourrai dans un hôpital avec des tuyaux
et des appareils électroniques insupportables, comme un vulgaire
cobaye humain.
Il est difficile d'être exceptionnel.
Lors de l'atelier
sur le suicide nous nous sommes dit le peu d'estime que nous avions de
nous-mêmes. Qu'il devait y avoir un lien entre ceci et cela.
C'est aujourd'hui de ça dont je veux me guérir. Ce qui n'est
pas une mince affaire si je grandit dans une culture gayphobe. Si je grandi
dans une culture où la négation ou la résignation
de soi est moral. Si mon père me disait que je serai bon à
rien et que je m sens mauvais en tout.. Ou si la culture gay est antimoche,
antivieux ou antigros.
Il me reste cependant ma dignité comme remède contre la
honte.
C'est une chance
d'être un sale pédé aux yeux des normaux. Ca me laisse
vachement de place pour m'imaginer mille autres choses pour (sur)vivre.
En plus, c'est pas de chance pour les aigries puisqu'on est le futur (avec
les femmes, les noirEs, les moches, les ploucs, et les étrangerEs
du monde entier).
Quel privilège !
Par
Sa Chasteté Jean-Pol Carbonne XIV.
PS : en me
réveillant ce matin je me suis souvenu que lors de la séparation
violente de mes parents, la tentative de suicide ou la menace de, avaient
été jouées par ma mère et mon père.
Au sujet de la garde des enfants, entre autre. Il ne me reste que peu
de chose de cette époque où l'eau était dans le gaz
et l'électricité dans l'air, puisque mon instinct de survie
se démerdait déjà vachement bien avec le tri sélectif
de ma mémoire.
Je réalise que le sens caché de ces tentatives et menaces
faisaient partie de mes jouets, de ma construction asocial. Depuis que
je le sais, j'ai moins envie de mourir. Mais il faut encore que je gratte
quelques cailloux avec mes ongles, sans les casser.
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