Rubrique
"lectures"
de Lady Dascalie
Queer
Zones
Marie-Hélène
Bourcier n'est pas une femme. Marie-Hélène Bourcier est
une gouine post homo, une petite butch à décodeur intégré
dont le dernier bouquin Queer zones doit devenir l'indispensable prolongement
de vos faux-ongles : tel un gode protéiforme, il ouvre de nombreuses
perspectives. Les marges, c'est ce qui relie les pages. Et ce relie les
différentes parties du livre : " Post porn ", "
SM ", " Butch ", " Trans ", " Politiques
queer ", c'est le décryptage de divers silences produits par
le système sexe/genre hétéronormatif et les stratégies
de résistances à ces silences. Les Queers zones constituent
effectivement une boîte à outils servant à triturer
le " normal " et le " naturel ".
Pour vous donner une idée : un exemple développé
par Bourcier (1). Retour sur le film Baise-moi (2) (dans un chapitre justement
intitulé Baise-moi encore). Rappelons que, suite à une plainte
de l'association
Promouvoir, dont le président est lié au MNR, parti raciste
et fasciste, le film a été retiré des circuits de
distribution par décision du Conseil d'Etat. Le film, ses réalisatrices
et ses actrices, ont en outre essuyé les attaques en règle
de la presse de gauche française bien-pensante. Qu'est-ce qui gênait
tant dans Baise-moi ?
D'abord, c'est bien connu, les " femmes " se doivent d'être
passives, socialement et sexuellement mais tellement douces... Les montrer
violentes enfreint la norme hétéro. Le titre " Baise-moi
" est déjà une prise de parole, une reprise de ce que
les hommes voudraient que les femmes leur disent, une réappropriation
et un renvoi dans la gueule de la sentence du porno faite pour les machos.
En gros, les tenants de la masculinité ont du mal à avaler
que des " femmes " deviennent agents, en non plus objets, de
la représentation cinématographique et politique, en reprenant
et en détournant les codes de la violence et de la pornographie
(femmes qui se vengent d'être considérées comme des
objets sexuels par les hommes, enculage d'un homme par deux femmes via
un flingue...). Bref, Baise-moi nique les genres (masculin/féminin)
mais nique également la représentation de la pornographie.
Inclassable, il ne contient pas que des scènes sexuelles, il n'est
pas un " porno " au sens habituel du terme, il intègre
une dimension réaliste. Si le cinéma réaliste "
noble " se mélange au cinéma porno, si les " vrais
" acteurs se mélangent avec les hardeurs, mais où va-t-on
? Baise-moi va en tout cas vers une résistance féministe
pro-sexe qui utilise une culture populaire, le cinéma, pour produire
des représentations alternatives des corps, de la sexualité
et des genres. N'en déplaise à certainEs féministes.
Comment conduire une enquête sur la perception du VIH par les lesbiennes
? Pourquoi réaffirmer la dimension politique du SM ? Qui écrit
l'histoire des butch/fems ? Pourquoi doit-on parler de pratiques transgenres
? Comment fonder une action politique sur un " nous " à
créer instable ? Marie-Hélène Bourcier donne des
pistes en construisant-déconstruisant de façon jubilatoire
les représentations du sexe et du genre et les savoirs.
En bref, les Queers zones donnent la pêche, " nous " parle.
Si vous êtes démoraliséE par l'ambition de certains
vos congénères gays et lesbiennes d'être les "
égaux-égales " des hétéros, excellent
début de thérapie. " Queeriser les espaces, les disciplines,
les modes de savoir-pouvoir hétérocentrés tout en
gardant en mémoire l'ancrage politicosexuel du terme, tel pourrait
être le programme d'un " sujet queer " forcément
" mauvais élève ", anti-assimilationniste et "
out ", qui cherche à exploiter les ressources de la marge
et reste attentif aux discriminations, que celles-ci se produisent à
l'intérieur ou à l'extérieur de la communauté
politicosexuelle dont il se réclame [...]. "
Joli programme, en effet. Et comme le dit Beatriz Preciado (3) dans la
préface : " Il y a juste beaucoup de travail à faire,
c'est tout. "
Références
: Queer zones, politiques des identités sexuelles, des représentations
et des savoirs, Marie-Hélène Bourcier, Balland, collection
" Modernes ", Paris, 2001.
(1) Evidemment je coupe, je résume, j'interprète, je réduis
donc lisez le bouquin.
(2) Baise-moi est un film de Virginie Despentes et Coralie Trinh-Thi,
avec Rafaella Anderson et Karen Bach. Voir le site www.baisemoilesite.com
en attendant de voir le film, si ça n'est déjà fait.
(3) Tout aussi indispensable que Queer zones : Manifeste contrasexuel,
Beatriz Preciado, Balland, collection " Modernes", Paris, 2000.
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